Livre III : Chronicle I |
Sur les remparts du château de Giran.
Les mots se perdirent au plus profond de la bataille. Les bruits de la pluie et de l'entrechoquement des armes parurent devenir insipides. Dès qu'elle vit la chose, Leona sentit cette dure réalité oubliée lui tomber dessus telle une enclume. Un énorme Leviathan de fer plus imposant que les remparts, marchait négligemment vers eux. Les soldats protecteurs du château furent pris dans un chaos de panique, abandonnant leur devoirs, juste capable de regarder la chose.
"Tirez ! Tirez ! Pas besoin de viser sur une chose de cette taille !
Quelqu'un avait réussi à crier un ordre aux archers. Ramenée à la réalité, Leona retrouva ses esprits et leva instinctivement sa lance.
"Maintenez l'ordre ! Hurla-t-elle de toutes ses forces.
"Pensez à vos camarades qui ne reviendront jamais, ceux qui ont combattu Antharas et sont morts ! Agissez en l'honneur de leur sacrifice !" Un pied sur le rempart, elle pointa sa lance sur le fléau mécanique.
Ses officiers furent les premiers à répondre, ordonnant aux soldats de se lâcher sur les flèches et la magie. Mais les flèches rebondirent sur la coque du monstre géant telles des mouches folles. Les mages lancèrent des boules de feu qui ne laissèrent que des égratignures sur leur cible.
Le golem gris ignora leur résistance combinée et continua lourdement son chemin vers sa destination. A l'approche des douves, une traverse soutenant le pont grinça sinistrement. Réprimant son envie de hurler, Leona ordonna à ses forces de continuer la résistance.
Soudain, l'automate somnambule s'écrasa contre les murs du château avec la force d'une masse brute. Leona chancela près du précipice, s'effondrant sur quelqu'un qui l'attrapa fermement et la remis en lieu sur au-dessus de lui, interrompant ainsi sa chute.
Reprenant contenance, elle réalisa que la personne en-dessous était le sorcier Dubian de la Tour d'Ivoire. Sa robe était complètement recouverte de boue à cause de la pluie et ses cheveux lui collaient au visage.
Leona se mit debout et retourna vers le parapet, oubliant de remercier son sauveur. La machine déchaînée leva lentement son gigantesque bras pour rouer de coups les portes du château. Magie et flèches lancées sur le géant faiblirent, laissant des flammes sur un seul bras, qui très vite s'éteignirent.
Découragée, Leona ne put encourager ses soldats plus avant. Un regard languissant au loin, elle sentit le désespoir envahir ton son corps.
Dubian parla.
"Ce golem a été créé par un Nain forgeron de la Guilde des Enclumes Noires. Regardez les marques sur son épaule – elles représentent les Enclumes Noires elles-mêmes. Mais pour faire bouger un corps si imposant, il faut une source d'énergie extraordinaire."
Coupant court à cette longue explication, Leona répondit brusquement.
"Que cela peut-il bien faire? Cette chose va raser les portes du château. Nous devons trouver un moyen de la stopper !"
A ce moment, le château entier trembla violemment, d'une force bien plus puissante qu'avant. Beaucoup de soldats s'effondrèrent sur place et les sorciers tombèrent comme des pièces du haut de la Tour d'Ivoire. Leona s'accrocha des deux mains aux colonnes de pierre du parapet, à peine capable de résister à l'attaque. A chaque coup porté par le bras géant du golem, les bords épais qui constituaient les remparts se brisaient en éclats qui s'éparpillaient alentours.
Tout en s'appuyant au mur de la tour d'observation, Dubian cria.
"Celui qui contrôle cette chose doit être un Nain de la Guilde des Enclumes Noires. Nous devons le trouver ! Si nous pouvons le stopper, son golem ne sera plus qu'un tas de fer sans vie !"
Leona ne tint pas compte des flèches qui venaient du camp attaquant. Passant le haut de son corps par-dessus le mur, elle inspecta la scène. A cause du brouillard, elle ne put voir qu'un monde complètement enveloppé dans un voile laiteux.
Un autre choc violent s'ajouta aux bruits de destruction, provenant des fissures visibles sur les portes du château. De manière hésitante, Leona cligna des yeux, temporairement aveuglée par un soudain éclair de lumière provenant de la direction du lac. Elle courut le long du mur pour en déterminer la cause.
Dubian la suivit derrière, récitant des sorts qui formèrent une colonne magique de lumière circulaire. Une créature ressemblant à un chat avec des yeux exceptionnellement grands émergea, debout sur deux pieds. Le sorcier proféra d'autres ordres et la créature sauta par-dessus le parapet, mit ses pattes sur son front et regarda de l'autre côté du lac. Après un court instant, elle s'approcha du sorcier et communiqua mentalement avec son maître.
"Le Nain est au lac."
Leona passa à l'action. "Apportez-moi un cheval rapide !"
Elle se précipita vers les escaliers. "Combattre un adversaire qu'on ne peut voir est vain. Quelqu'un doit aller directement à la source."
"Non, vous ne pouvez faire ça ! C'est trop dangereux !" L'oracle elfe Luellin, qui n'avait pas dit mot jusqu'à présent, lui bloqua le passage.
Elle la poussa brutalement sur le côté et cria. "Pousse toi de mon chemin !"
Luellin chancela un peu, mais refusa de laisser Leona passer. Elle la regarda dans les yeux intensément et hurla avec désespoir.
"Ma vie, ainsi que celle de tous au château dépendent de vous !"
Sur les murs du château, les soldats fixaient Leona des yeux, soutenant la prière de Luellin.
Des gouttes de pluie, glaciales, lui mordirent la nuque, les épaules et la poitrine. Alors que Leona grommelait pour elle-même, un archer tendit la main et prit position.
"Arc !"
L'archer tendit l'arc à Leona. Elle marcha rapidement vers l'extrémité nord du mur du château.
"Dubian. Papier, crayon."
Le sorcier et l'oracle la suivirent. "Parlez. J'écrirai ce que vous me dites."
Leona atteignit la face nord du mur et attacha la lettre complète à une flèche. Elle se fia à sa mémoire pour retrouver le petit maquis localisé au nord-est du château et banda l'arc. La flèche dessina un arc et disparut dans la brume.
Un peu plus tard, elle regarda dans la direction qu'avait pris la flèche et se dirigea à nouveau vers la face ouest du mur. Elle avait encore tant de choses à accomplir.
Vellion dirigeait à peine plus d'une vingtaine de fantassins humains et elfes, dissimulés dans un petit maquis entre le château et le lac. Les attaquants ne pouvait pas imaginer que des forces déjà numériquement inférieures puisse avoir envoyé une unité séparée. Vellion et les fantassins étaient partis du château par une porte secrète au nord, où ils attendaient les ordres.
Ayant fini de lire la lettre attachée à la flèche, Vellion se dirigea immédiatement vers le lac. Il évitèrent les attaquants, qui étaient essentiellement concentrés devant les portes du château. Contournant la face orientale des murs, ils pistèrent le bord du lac conformément aux instructions de Leona. La brume dissimula les mouvements de la troupe jusqu'à ce qu'elle atteigne sa destination.
Ils se trouvèrent face à l'ennemi.
Un nain portait une lanterne, couverte pour la protéger de la pluie. Dans son autre main, il tenait un étrange appareil mécanique, le secouant et le remuant en direction du golem.
Les yeux de Vellion croisèrent ceux du Nain. Le Nain regarda derrière l'Elfe, écarquilla les yeux de surprise, mais se mit à rire.
Un gigantesque Orc armé de féroces griffes d'acier apparut derrière le Nain, qui se retourna et se cacha promptement derrière lui. Le chef lieutenant des fantassins apparut aussi, portant une armure lourde, blasonnée d'un mouton doré.
Vellion regarda le lac qui s'étendait derrière l'Orc, et soupira. Il dégaina lentement son épée.